« Le coût de l’inaction est bien plus élevé que l’investissement nécessaire pour construire un avenir résilient et prospère pour l’Afrique ».
Cet appel à l’action lancé par Claver Gatete, secrétaire général adjoint des Nations unies et secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), souligne l’amère réalité à laquelle est confronté un continent qui souffre profondément des effets du climat bien qu’il soit celui qui contribue le moins aux émissions mondiales.
Les économies africaines perdent déjà en moyenne 5 % de leur PIB – et jusqu’à 15 % dans certains cas – chaque année en raison des perturbations climatiques, et les enjeux n’ont jamais été aussi importants.
- Gatete a présenté une vision en cinq étapes pour faire passer l’Afrique de la vulnérabilité climatique au leadership mondial en matière de croissance verte.
Il s’agit notamment d’exploiter les minéraux essentiels de l’Afrique pour la transformation économique, d’améliorer la capture du carbone grâce à des solutions basées sur la nature, de fixer un objectif ambitieux pour le nouvel objectif collectif quantifié (NCQG) en matière de financement du climat, d’accélérer la transition de l’Afrique vers l’énergie propre et d’appeler à une action mondiale décisive pour limiter les émissions.
Un continent au bord du gouffre
Dans toute l’Afrique, les signes du changement climatique sont flagrants. L’élévation du niveau des mers menace les côtes de l’Afrique de l’Ouest, des sécheresses prolongées ravagent l’Afrique de l’Est et des phénomènes météorologiques imprévisibles bouleversent les cycles agricoles dans des régions où la sécurité alimentaire est déjà précaire. Ces changements ont un prix élevé. Rien qu’en 2023, on estime que les catastrophes liées au climat ont fait basculer 14 millions d’Africains dans la pauvreté.
Mais ce bilan va au-delà de l’économie. Les perturbations climatiques mettent à rude épreuve les systèmes de santé africains, accroissent l’insécurité alimentaire et accélèrent les migrations, les populations se déplaçant à la recherche de conditions de vie décentes.
« Les réalités quotidiennes s’aggravent pour l’Afrique », a déclaré M. Gatete. « Des dommages causés aux infrastructures aux risques sanitaires, le coût de ces perturbations ne cesse de croître. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre.
La voie de la résilience
Le premier des cinq piliers définis par le secrétaire exécutif de la CEA consiste à tirer parti de la richesse de l’Afrique en minéraux essentiels – cobalt, lithium, manganèse, nickel et autres – qui sont indispensables à la transition vers l’énergie propre à l’échelle mondiale. Alors que la demande de batteries et de véhicules électriques augmente, les ressources minérales de l’Afrique pourraient alimenter non seulement son propre développement, mais aussi le passage du monde à l’énergie verte.
- Gatete a cité le partenariat entre la République démocratique du Congo et la Zambie, qui peut tirer parti de la zone de libre-échange continentale africaine pour mettre en place des zones économiques spéciales destinées aux chaînes de valeur régionales et mondiales pour la transition énergétique et la course au zéro émission comme mode d’action.
Le deuxième pilier consiste à renforcer le potentiel de capture du carbone de l’Afrique grâce à des solutions basées sur la nature. Les écosystèmes africains, en particulier le vaste bassin du Congo, comptent parmi les puits de carbone les plus efficaces au monde et doivent être protégés contre la déforestation croissante.
Les investissements dans le boisement et le reboisement par le biais de marchés du carbone correctement structurés, soutenus par une compensation équitable pour les pays africains, pourraient rapporter jusqu’à 82 milliards de dollars par an grâce à des crédits carbone à haute intégrité, offrant ainsi des retours financiers substantiels tout en préservant la biodiversité.
Troisièmement, le secrétaire général adjoint des Nations unies a souligné l’importance d’un objectif solide et ambitieux pour le nouvel objectif collectif quantifié (NCQG) en matière de financement de la lutte contre le changement climatique, notant que l’objectif de 1,3 billion de dollars par an proposé par le groupe de négociateurs africains est conforme aux CDN de l’Afrique, dont la mise en œuvre nécessite près de 3 billions de dollars.
Alors que le NCQG est en cours de négociation, M. Gatete a souligné l’urgence de finaliser cet objectif afin de refléter l’ampleur des défis auxquels le continent est confronté. Les finances publiques ne suffiront pas à elles seules ; il sera essentiel de débloquer les investissements du secteur privé et de réformer les structures financières mondiales afin d’alléger le fardeau de la dette.
L’énergie propre : Une transition imparable
Sa quatrième priorité est d’accélérer la transition de l’Afrique vers les énergies propres. Alors que l’Afrique contribue pour moins de 4 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, elle a le potentiel pour devenir une plaque tournante mondiale pour les énergies renouvelables. Grâce à leurs vastes ressources solaires, éoliennes et hydroélectriques, les pays africains pourraient produire de l’électricité à un coût inférieur à celui des combustibles fossiles.
« La transition vers les énergies renouvelables est inéluctable. Avec des politiques et des investissements coordonnés, l’Afrique peut se positionner à l’avant-garde de l’économie verte », a noté M. Gatete.
Cependant, la fenêtre d’action se referme. Les coûts des installations d’énergie renouvelable diminuent, mais la patience des dirigeants africains aussi. Ils ont, à maintes reprises, appelé les nations plus riches à respecter leurs engagements en matière de financement de la lutte contre le changement climatique – une promesse qui n’a pas encore été tenue à l’échelle dont l’Afrique a besoin.
Le coût de l’inaction
Au cœur du message du chef de la CEA se trouve une mise en garde : l’inaction coûtera beaucoup plus cher à long terme. Selon la Commission mondiale sur l’adaptation, chaque dollar dépensé pour l’adaptation au climat génère environ quatre dollars de bénéfices, qu’il s’agisse de la réduction des dépenses liées à la reprise après sinistre ou de l’augmentation de la productivité agricole.
En Afrique, où les économies sont particulièrement vulnérables, le retour sur investissement pourrait être encore plus élevé.
Considérez l’alternative. Sans investissements adéquats dans la résilience, l’Afrique sera confrontée à une escalade des catastrophes et à des revers économiques. Le fardeau de la dette de la région, qui constitue déjà un obstacle à la croissance, ne fera que s’aggraver, car les pays seront contraints d’emprunter davantage pour reconstruire après des événements climatiques de plus en plus fréquents.
Mais l’inaction est plus qu’une occasion manquée, c’est un échec moral. Les émissions de l’Afrique ne représentent qu’une fraction de celles produites par les pays les plus riches. Et pourtant, c’est l’Afrique qui subit de plein fouet les effets du changement climatique. L’appel à l’action de M. Gatete est, au fond, une demande de justice climatique et de respect des principes fondamentaux de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Une responsabilité partagée
Alors que M. Gatete s’adressait à un public composé de personnalités politiques, de chefs d’entreprise et d’activistes, son message était clair : l’Afrique ne peut pas agir seule. Les partenaires mondiaux doivent répondre à l’engagement de l’Afrique par des actions, et pas seulement par des mots. « Chaque retard et chaque désinformation augmentent les risques pour nous tous », a-t-il averti, appelant à mettre fin au “business as usual”.
La CEA, ainsi que l’Union africaine, la Banque africaine de développement et l’AUDA-NEPAD, travaillent à la mise en place d’un système plus équitable de financement de la lutte contre le changement climatique. Leur objectif est de faire en sorte que l’architecture financière de demain permette à l’Afrique de se prendre en charge, plutôt que d’aggraver sa dette.
Le secrétaire exécutif a exprimé l’espoir d’une Afrique qui ne se contente pas de survivre, mais qui prospère face au changement climatique. Une Afrique où les ressources durables alimentent les industries. Une Afrique où les jeunes entrepreneurs sont à la pointe des technologies vertes. Une Afrique où le financement de la lutte contre le changement climatique permet de répondre aux aspirations en matière de développement. Tous ces objectifs sont réalisables « si le monde agit maintenant ».
Pour l’Afrique, et même pour le monde, le choix est clair : investir aujourd’hui dans un avenir résilient ou payer un prix encore plus élevé demain. La question que M. Gatete a laissée en suspens lors de la COP29 est de savoir si le monde est prêt à répondre à cet appel.
L’EconomisteSenegal