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lundi, novembre 25, 2024

Broulaye Bagayoko : « Aujourd’hui, on vit l’esclavagisme de la dette »

Dans l’interview qui suit publiée par L’Economiste du Benin, (leconomistebenin.com) M. Broulaye Bagayoko, Secrétaire permanent du réseau du Comité pour l’Abolition des Dettes Illégitimes (CADTM/Afrique) revient sur la problématique de la dette en Afrique, la question de sa gestion, son annulation, et les enjeux autour.

 Le CADTM/Afrique a été fondé le 15 Mars 1990 et est présent dans 16 pays en Afrique (09 pays en Afrique de l’Ouest, 04 pays en Afrique Centrale, 02 pays en Afrique du Nord et 01 pays en Afrique de l’Est).

Quel est le niveau de la dette de l’Afrique subsaharienne ? Le stock de la dette ça vaut quoi actuellement ?

Le stock de la dette pour l’Afrique subsaharienne nous en sommes à 626 milliards de dollars. Dans les 626 milliards de dollars, mon pays par exemple, le Mali a 5521 milliards de FCFA et le Bénin également a une dette de 5438,70 milliards de FCFA. Et, la remarque, c’est que la dette a largement doublé notre budget national, ce qui fait qu’aujourd’hui, on est en quelque sorte à l’esclavage de la dette, il faut chercher une solution pour s’en sortir.

Quand on parle de solution pour s’en sortir, cela veut dire que la dette impacte les budgets, les services sociaux, la santé, l’éducation… La population à la base qu’elle le veuille ou non, subit l’effet de la dette. C’est bien de cela qu’il s’agit?

C’est de cela qu’il s’agit. Si je prends le pourcentage de la dette béninoise par rapport à son PIB, on parle de 50,02%, le Mali est à 53% par rapport à son PIB. Ça veut dire que plus que la moitié de la richesse nationale du pays est destinée au remboursement du service de la dette. Donc le reste doit être réparti entre les différents secteurs, mais ne suffit pas en réalité. Il y a aussi les conditionnalités que les créanciers posent dans les accords de prêt notamment les privatisations de nos secteurs porteurs, la réduction des effectifs au sein de la fonction publique qui a aussi créé le problème de chômage des jeunes qui sortent des écoles et n’ont pas d’emplois. Il y a aussi la suppression de la bourse aux étudiants, aux élèves dans certains pays. Vous allez voir que l’OMS a dit 1,5 pour 5000 habitants, une sage-femme pour 5000 habitants. Mais regardez, on parle de la réduction des effectifs de la fonction publique, ça veut dire qu’on ne pourra pas atteindre ce ratio-là. Les infrastructures scolaires également, l’insuffisance des infrastructures et du personnel enseignant sont là. Certains pays à la demande de leurs créanciers avaient même fermé les instituts de formation des maîtres, la décentralisation est venue, on a rouvert, n’importe qui est appelé enseignant et c’est ce qui explique la baisse de niveau aujourd’hui.

A vous entendre, il y a lieu d’annuler cette dette, on sent cette envie-là de l’effacer. Dites-nous est-ce que vous avez une recette pour effacer la dette et comment y parvenir ?

Pour effacer la dette aujourd’hui, c’est très simple. Vous savez, il y a la dette multilatérale, bilatérale, la dette intérieure. Pour effacer cela, ça peut être l’initiative des créanciers eux-mêmes qui vont eux-mêmes complètement effacer la dette. Mais au-delà de l’initiative personnelle des créanciers, il y a l’initiative personnelle de l’État qui doit décider d’aller dans un audit citoyen de la dette, en impliquant donc les citoyens. Donc les résultats de cet audit-là, vont voir quels sont les emprunts qui ont servi au peuple et les dettes qui n’ont pas aussi servi le peuple. A la lumière des résultats, on va se prononcer en faveur de l’annulation des dettes qui n’ont pas réellement servi l’intérêt de nos pays. Dans cet audit-là, il y a des juristes, des économistes, sociologues, diplomates… qui font un travail colossal, qui établissent des causalités entre l’endettement et la pauvreté pour analyser les accords de prêt qui ont été violés par les créanciers eux-mêmes où il y a des conditions qui ont été imposées mais ne devraient pas l’être. Donc pour l’effacer, c’est la base d’un audit citoyen de la dette en impliquant le citoyen, qu’on prenne le courage politique de dire qu’on ne va pas rembourser cette dette qui a servi comme l’ont fait, Fidèle Castro, Raphaël Koréa, Juan Evo Morales Ayma de la Bolivie, comme l’a fait Hugo Chávez. Des pays ont réussi dans le monde à annuler leurs dettes, le Mexique, l’Argentine…tous ces pays-là ont réussi à annuler les parties de leur dette qui n’ont pas servi au développement de leur peuple.

On suppose un instant qu’on parvienne à annuler la dette mais on continue de vivre, on a toujours des relations avec ces pays avec lesquels on était en relation jusqu’aujourd’hui. On ne doit pas continuer comme ça. Il y a certainement d’autres actions à mener pour éviter que ça se répète. Vous avez parlé de la constitutionnalisation de la dette. Est-ce que ça rentre dans les outils de la dette qu’on devait institutionnaliser. Et qu’est-ce que c’est ? Est-ce que ça entre dans les outils à utiliser pour éviter les endettements à outrance connus aujourd’hui ?

Tout d’abord, je dirais que nos États sont créanciers vis-à-vis du reste du monde. Nous ne sommes pas débiteurs. L’Afrique doit se mettre dans un statut de créancier et non de débiteur. Pourquoi je le dis ? On dit que chaque année, il y a mille milliards de dollars qui se sont volatilisés, qui quittent le continent africain vers les paradis fiscaux. La fraude et l’évasion fiscale, les multinationales sont là et ne paient pas. Nos ressources naturelles ne sont pas exploitées dans l’intérêt supérieur des nations. En gérant tous ces problèmes-là, on peut se passer de la dette. Mais la constitutionnalisation de la dette est l’une des meilleures solutions. Il faut éviter que l’unique document de référence en matière de document soit l’accord de prêt qui lie le créancier au débiteur, mais encadrer l’endettement dans la constitution, orienter la dette vers le développement endogène. Il faut que les prêts soient investis dans les projets et programmes qui vont générer leur remboursement. Il faudrait aussi que la constitution interdise certaines façons de s’endetter, notamment transformer des dettes privées en des dettes publiques, notamment interdire les taux d’intérêt excessifs et très élevés, faire en sorte que l’endettement ne puisse pas affecter la souveraineté nationale. Il faut éviter de s’endetter aussi lorsque les recettes fiscales du pays et les autres structures de la coopération internationale sont suffisantes pour couvrir en réalité les dépenses publiques. Puisqu’on voit des pays qui n’ont pas besoin de s’endetter qui continuent de s’endetter. En réalité, ce n’est pas du tout normal et bizarrement ce sont des dettes liées. Par exemple, la France accepte de prêter 2000 Euros au Bénin à condition que le Bénin achète 2000 milliards de marchandises à la France. La Tunisie s’est endettée pour racheter ses propres terres à la France. C’est des terres que la France a confisqué pendant la colonisation. Elle n’est plus là mais pense que ces terres lui appartiennent toujours et la Tunisie s’est endettée pour racheter ses propres terres.

A vous entendre, on tombe des nues et c’est possible que des pays africains soient dans cette situation sans le savoir puisqu’on peut parler des baptismes coloniaux qui relèvent aussi de la dette coloniale, on a bien l’impression que ce sont des choses qu’on entend pour la première fois. Alors qu’est-ce que vous avez à dire aux Africains ou Ouest-africains, Maliens, Béninois etc. On sait par exemple que le Mali est un pays minier mais fortement endetté. Un contraste… Qu’est-ce que vous avez à dire ?

Oui la production minière du Mali varie entre 50 à 60 tonnes par an. Vous voyez ce que ça fait comme revenu. Il y a des chercheurs qui ont dit que nous ne bénéficions pas de l’exploitation de notre or. On parle de 20%. Pour le Burkina ça ne vaut pas ça. Au Mali, on dit qu’il y a 800 grammes sur 900 qui disparaissent dans les mines d’or. Ça veut dire que nos autorités ne contrôlent pas la production minière. Donc, il y a une fausse déclaration de la quantité réellement produite. L’administration est absente des sociétés minières qui coulent l’or. C’est au moment de transporter l’or qu’on appelle la douane pour venir nous montrer la quantité, alors que ce n’est pas la quantité qui a été extraite. Au Burkina Faso par exemple, récemment, ils ont voulu faire sortir de l’or en disant que c’est du charbon fin et il y a eu un conflit entre la douane du Burkina-Faso et le responsable de la société minière. Ils étaient obligés d’amener l’or dans des laboratoires pour constater effectivement cela. Et on a montré que ce n’était pas du charbon fin. On voulait faire sortir l’or disant que c’est du charbon fin. L’appel que j’ai donc à lancer à la jeunesse africaine, notre démarche, ce n’est pas de libérer le peuple mais c’est d’amener le peuple à se libérer de lui-même. C’est notre objectif. La jeunesse doit se dire, moi mon avenir ne sera pas décidé sans mon implication. Il faut que la jeunesse africaine se considère comme sujet politique. Pas de politique politicienne, chercher à briguer le pouvoir mais, une politique de développement. Mon avenir ne sera pas décidé tant que mon point de vue n’est pas pris en compte. Car, quand on regarde, l’Afrique est immensément riche en termes de ressources naturelles mais il est le continent le plus pauvre dans le monde. C’est une situation paradoxale.

L’économiste Sénégal

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