Par Lansana Gagny SAKHO
Membre du Cabinet du Président de PASTEF les Patriotes
La nouvelle législature augure de bonnes perspectives pour le Sénégal dans la mesure où l’on passe d’une majorité mécanique à un équilibre relatif qui oblige les gouvernants à rendre compte. La problématique de l’endettement de notre pays fut abordée par les députés de l’opposition lors de l’examen de la loi des finances initiale 2023. C’est une préoccupation majeure à cause de la fragilité de nos économies. L’endettement en soi n’est pas une mauvaise chose. Dès lors qu’il est contracté de façon intelligente, il est tout à fait légitime d’en faire un recours pour développer une nation. Cependant, comme pour tous les États africains, la prudence devrait être de mise dans le cas de notre pays.
Dans une note en date du 22 novembre 2022, pilotée par le Ministre des Finances Mamadou Moustapha BA, le Bureau d’Information Gouvernemental (BIG) explique les fondements de la stratégie d’endettement de Sénégal. Pour les pays africains, « la charge de la dette peut paraître difficilement soutenable », souligne Marin Ferry, économiste et spécialiste de la dette africaine à l’université Gustave Eiffel. Nos pays ne peuvent cependant pas se permettre, à l’instar des pays européens par exemple, de laisser filer leur dette. « Lorsque l’Allemagne ou la France empruntent sur les marchés, cela ne leur coûte rien car les taux d’intérêt sont très faibles, alors que la prime de risque pour les États africains est beaucoup plus élevée », (Marin Ferry).
Le Sénégal devrait tirer des revenus globaux de l’ordre de 20 000 milliards FCFA (30,17 milliards $)sur 30 ans d’exploitation de ses gisements d’hydrocarbures », avait annoncé Thierno Seydou Ly, directeur général de Petrosen Exploration & Production, filiale de la Société des pétroles du Sénégal (Petrosen), le samedi 29 octobre 2022 soit près de 666 milliards de F CFA/an…. Les intérêts de la dette dans le cadre de la loi des finances initiale 2023 s’élèvent à 424,32 milliards de FCFA, soit 64% des revenus pétroliers prévisibles… Avec tout le buzz qu’ils ont créé sur les ressources pétrolières la montagne va probablement accoucher d’une souris
L’analyse du niveau d’endettement faite par le Ministre des Finances se tient à travers le Produit Intérieur Brut (PIB). Cela reste dans le cadre d’une démarche internationale classique. Cependant les difficultés à calculer le PIB sont particulièrement aigues pour la grande majorité des États Africains(y compris le nôtre). Si l’agriculture de subsistance est systématiquement sous-estimée, une partie de ce qui est perçu comme des facteurs de croissance, lorsque l’économie s’éloigne de la subsistance, peut ne refléter qu’une transition vers des activités qui sont plus faciles à calculer statistiquement. Quid du secteur informel dont la contribution positive dans l’économie de notre pays est avérée. Il crée des emplois et génère des revenus, et de ce fait réduit la pauvreté.
Il aurait peut-être été plus judicieux pour le Ministre des Finances et du Budget de sortir des schémas classiques et rapporter la dette à nos revenus réels. En référence à ses analyses, sur l’année 2022, le service de la dette représentait 1.693,9 milliards de F CFA. Or, en faisant une corrélation avec les recettes de 2023 (en se plaçant dans une perspective d’optimisme irréaliste, le service de la dette ne connaitra pas de variation entre 2022 et 2023), qui s’élèvent à 3.639 milliards de F CFA (hors dons) on tombe à un ratio 41,3%. Pour couvrir le déficit budgétaire dans le cadre de la LFI 2023, le gouvernent à prévu de recourir à un emprunt de près de 1.000 milliards F CFA. On ne sortira jamais de cette logique d’endettement…
L’endettement, n’est pas en soit mauvais. S’il est intelligent et productif, il peut assurer la prospérité d’un pays. Par contre, s’il ne produit aucune valeur ajoutée, il hypothèque l’avenir des futures générations. Pour l’utilisation des ressources issues de l’endettement de notre pays, le Ministre des Finances et du Budget met en exergue la construction de 2 526 km de routes, des 189 km d’autoroutes, le premier Train Express régional d’Afrique de l’ouest, le Bus rapid transit, 6 673 km de pistes pour désenclaver les zones de productions, la réalisation de 667 km de pistes par an, un programme spécial de désenclavement de plus de 2000 km, avec différentes boucles et dorsales en chantier…il a probablement oublié (à dessein ?) d’ajouter l’ARENA, le stade Abdoulaye WADE, l’arène nationale, les investissements pour l’acquisition d’aéronefs pour Air Sénégal, les projets de rénovation des stades Iba Mar DIOP, Demba DIOP…. Il a terminé ses explications en ces termes : « nous nous endettons parce que les besoins sont immenses et la prise en charge ne peut pas attendre ». Si la priorité des sénégalais tourne autour la construction de stades de foot et d’arènes de lutte, on devra se poser des questions sur le sens des mots « besoins immenses ». On peut juste se demander ce qui est « besoin immense » entre construire un stade de football à près de 150 milliards de F CFA et réhabiliter l’hôpital le Dantec (dont le coût est estimé à 60 milliards de F CFA selon le professeur Madieng DIENG) sans aliéner son patrimoine foncier….. Le Sénégal compte encore 4921 abris provisoires en 2022. Le coût de Dakar Aréna (inauguré le 8 août 2018), 66 milliards de F CFA, aurait permis de régler cette question qui est la face hideuse de l’enseignement au Sénégal.
Le Ministre des Finances et du Budget insiste particulièrement sur les infrastructures réalisées pour expliquer la politique d’endettement du gouvernement du Président Macky SALL depuis près d’une décennie. On peut comprendre leur démarche qui, malheureusement, ne s’inscrit pas une logique de développement. Même si c’est à ce niveau que les résultats de l’émergence sont peut-être le plus visibles au Sénégal. La nouvelle ville de Diamniadio et le nouvel aéroport international sont tout autant des projections symboliques dans un futur «émergé»…
Malgré le PSE, un nombre croissant de Sénégalais ont tenté l’année dernière de rejoindre l’Europe à bord d’embarcations de fortune, avec à la clé des pertes de vies humaines que les ONG estiment à des centaines, faute de chiffres officiels. Le taux d’analphabétisme au Sénégal dépasse les 50%, réussir à l’université ne garantit pas de s’extraire de la pauvreté, soulignait Yves Nzalé, coordonnateur d’un collectif de diplômés sans emploi. Quelques trois cent mille (300.000) Sénégalais décrochent chaque année un diplôme de l’enseignement supérieur, mais seuls un tiers d’entre eux trouvent du travail, explique-t-il en évoquant une situation «compliquée», «déplorable» et même «de désespoir»
Pour Charles Robertson, économiste à la banque d’affaires Renaissance Capital, le modèle de développement du Sénégal, avec l’accent mis sur les infrastructures et porté par les investissements étrangers, a certes créé de la croissance, mais pas nécessairement de l’emploi. «En termes macroéconomiques, le Sénégal fait bonne figure, mais l’homme ou la femme de la rue n’a rien ressenti de fantastique».
Se développer, c’est sortir du modèle de l’exportation des matières premières ; se développer, c’est faire du secteur secondaire et industriel une priorité. Quand on parle de développement, on ne brule pas les étapes, chaque chose se fait selon un ordre, priorité par priorité : une bonne politique de santé, une bonne politique de jeunesse, une bonne politique pour d’éducation. L’ensemble doit être soutenu par un secteur privé national fort.
Ces gens » n’écoutent personne ou, du moins, ne veulent-ils entendre que ce qui les arrange. Le 9 septembre 2022, le patronat sénégalais, à travers le Président du Conseil National du Patronat (CNP), sonnait l’alerte en ces termes. «Nous plaidons pour plus d’engagement à nos côtés de l’administration publique, plus de patriotisme économique, moins de haine de soi, moins de stigmatisation et de suspicion des privés nationaux qui gagnent des marchés et, enfin, de nouvelles règles de complémentarité avec l’investissement direct étranger». A défaut de museler l’opposition, ils sont quand même arrivés à réduire le secteur privé à sa plus simple expression. La base du développement d’un pays, c’est l’industrialisation. Le profil de la personne qui a en charge le ministère de l’industrie dans le gouvernement montre le peu de sérieux que ces gens accordent à ce secteur.
A l’image du Sénégal, les pays de l’Asie de l’Est ont connu des croissances rapides. Ils se sont endettés de façon intelligente et ont donné la priorité à l’industrialisation, diversifié leurs économies et exporté une gamme de produits sophistiqués et transformé leurs agriculteurs en ouvriers de fabrication dans les centres urbains. En revanche, quand nos jeunes du monde rural viennent dans nos villes, ils n’y retrouvent pas d’industries; ils se mobilisent autour des feux rouges et s’adonnent à la vente à la sauvette. La planification économique de notre pays ne peut pas être fondée sur des extrapolations de croissance ou de fonds mobilisés. La politique d’endettement du gouvernement ne fait qu’hypothéquer l’avenir de la jeunesse de notre pays qui devra payer au prix fort ces errements. Le forcing inopérant que le gouvernement vient mettre en œuvre pour obliger des opérateurs privés à baisser les prix des denrées, le concept de « Xeyu ndawi » sont assez révélateurs de leur échec…. En réalité le problème n’est pas un manque de volonté, c’est plutôt qu’ils ne savent pas faire….
Tous les Sénégalais seraient très curieux de connaître l’impact des investissements comme le stade Abdoulaye WADE, l’ARENA, le TER (structurellement déficitaire), Air Sénégal (un mort-né qui a couté une fortune au contribuable sénégalais) sur leur pouvoir d’achat, mais également sur l’insertion des jeunes diplômés… Ce n’est pas la dette qui pose problème mais les raisons pour lesquelles l’Etat du Sénégal s’endette. Elles sont inefficaces, inefficientes mais surtout suicidaires pour les futures générations. La politique d’endettement du gouvernement traduit une incapacité à saisir les enjeux et à trouver des solutions aux défis auxquels les populations sénégalaises, en particulier les jeunes, font face…. Certaines dépenses fendent le cœur de tout Sénégalais qui a un tant soit peu de l’amour pour son pays. Comment expliquer que le budget de l’Assemblée nationale, pour la gestion 2023, soit arrêté à la somme de 20.758.015.137 FCFA ce qui signifie une hausse de 3 milliards par rapport au budget de 2022 ? Que dire du budget du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) évalué à 7.541.040.284 milliards ? Ou du projet de budget du Haut Conseil des Collectivités Territoriales (HCCT), pour la gestion 2023, 9 160 000 000 FCFA ?
Le président de la République, Macky Sall, avait pris le 30 mai 2014 le décret 2014-697, allouant une indemnité forfaitaire mensuelle aux conjoints de chefs de mission diplomatiques et consulaires. «Il est alloué au conjoint dûment autorisé à rejoindre le chef de poste pour habiter la résidence officielle de l’ambassadeur ou du consul général une indemnité forfaitaire mensuelle dont le montant est fixé à 500 000 Fcfa», soit un budget annuel de 402 000 000 FCFA pour les conjoints des 67 patrons des représentations diplomatiques sénégalaises à travers le monde. 402.000.000 F CFA c’est une bourse entière annuelle pour 930 étudiants sénégalais à l’université de Dakar. Patriotiquement….. L’économiste Sénégal