Cinq ans à peine avant la mise en œuvre du Programme de développement durable à l’horizon 2030, « les données ne portent guère à l’optimisme », se désole Claver Gatete, secrétaire exécutif de la Commission économique africaine (CEA).
Sur les 144 cibles mesurables des objectifs de développement durable, souligne-t-il, seules 10 sont en bonne voie d’être atteintes, tandis que pour 106 d’entre elles, la mise en œuvre progresse trop lentement, et qu’on observe une régression dans 28 cas.
Dans son discours à l’ouverture de la onzième session du Forum régional africain pour le développement durable (FRADD-11), mercredi 9 avril à Kampala (Ouganda), M. Gatete explique qu’au train où vont les choses, l’objectif de développement durable 5 sur l’égalité entre les sexes ne sera pas atteint avant des décennies, et cela risque de compromettre la contribution des femmes au progrès socioéconomique.
« Nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de rester sur ce rythme », avise-t-il, soulignant que « pour inverser la tendance, nous devons aller au-delà du simple diagnostic de nos difficultés et appliquer des solutions audacieuses et réalisables ».
Selon lui, le FRADD est l’occasion de se pencher sur cinq objectifs de développement durable (ODD) essentiels, qui ouvrent une voie pour accélérer les progrès, en ligne avec la mise en œuvre réussie du deuxième plan décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
Au nombre de ces cinq ODD, il liste en premier l’objectif de développement durable ODD 3 : Bonne santé et bien-être.
Révélant qu’aujourd’hui, des millions d’Africains manquent toujours d’accès à des soins de santé de qualité, il note que quatre pays africains sur cinq dépensent moins de 86 dollars par habitant pour la santé, ce qui est bien en deçà du seuil minimum de 249 dollars recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé.
En 2022, poursuit-il, les dépenses de santé ne représentaient en moyenne que 7 % des budgets, loin donc de l’engagement, pris en 2001, d’y consacrer plutôt 15 %.
« Nous devons impérativement combler ces lacunes et, pour ce faire, il nous faut stimuler les financements nationaux, renforcer les systèmes de santé et tirer parti des solutions de santé numérique », explique-t-il.
Concernant l’objectif de développement durable 5 : Égalité entre les sexes, Claver Gatete s’interroge : comment l’Afrique peut-elle réellement prospérer alors que la moitié de sa population demeure économiquement marginalisée ?
Soulignant que les obstacles auxquels les femmes restent encore confrontées en matière d’éducation, de financements et d’emploi doivent être démantelés, le secrétaire exécutif de la CEA estime qu’il n’est pas normal qu’elles n’occupent que 26 % des sièges dans les parlements, même si la proportion a augmenté, par rapport aux 19 % de 2015.
De surcroît, note-t-il, il persiste un écart de 12 % entre les hommes et les femmes dans l’accès à l’argent mobile, en dépit d’un volume de transactions de 1 300 milliards de dollars en 2022, ce qui met en évidence des inégalités systémiques auxquelles il faut vraiment s’attaquer.
« Nous devons adopter des politiques qui favorisent l’autonomisation économique, afin de garantir notamment une budgétisation soucieuse d’égalité des genres, l’inclusion numérique et des postes de direction pour les femmes dans tous les secteurs », explique-t-il.
S’agissant de l’objectif de développement durable 8 : Travail décent et croissance économique, Claver Gatete souligne qu’il n’a jamais été aussi impérieux d’accorder la priorité aux moyens de subsistance durables.
Ceci, a-t-il dit, étant donné que 83 % de la main-d’œuvre africaine travaille dans le secteur informel, que plus de 113 millions de personnes sont au chômage ou sous-employées et que près d’un tiers vivent dans l’extrême pauvreté laborieuse.
En conséquence, affirme-t-il, nous devons absolument renforcer la formation professionnelle, promouvoir l’entrepreneuriat, intégrer les emplois dans le secteur structuré de l’économie et investir dans la protection sociale, de manière à tirer le meilleur parti de notre population en âge de travailler, qui comptera près d’un milliard de personnes d’ici à 2030.
Relativement à l’objectif de développement durable 14 : Vie aquatique, il cite comme exemple l’économie bleue de l’Afrique qui recèle un potentiel économique inexploité. Cependant Il déplore le fait qu’elle est menacée par la dégradation du milieu marin, la faiblesse de la gouvernance et le sous-investissement.
« Nous avons un immense coup à jouer avec cette économie, sachant que sa valeur pourrait passer de 296 milliards de dollars en 2018 à 576 milliards de dollars d’ici à 2063. Or, elle ne reçoit actuellement que 3,5 % des fonds alloués aux ODD », souligne-t-il.
Egalement, Claver Gatete explique que la pêche illégale coûte également 10 milliards de dollars par an en Afrique, et que l’indice de santé des océans de l’Afrique se traîne à un score de 52,7 contre une moyenne mondiale de 71,4.
« Pour libérer ce potentiel, il est indispensable d’investir durablement dans l’aquaculture, le tourisme côtier et les projets liés au carbone bleu, sur le modèle des accords conclus entre les Seychelles et le Gabon pour la conversion de dettes en mesures en faveur de la nature », ajoute-t-il.
S’agissant enfin de l’objectif de développement durable 17 : Partenariats pour la réalisation des objectifs, le secrétaire exécutif de la CEA affirme qu’il est clair qu’aucun pays ne saurait atteindre ces objectifs en s’y employant seul dans son coin.
« Leur réalisation nécessite une coopération renforcée aux niveaux national, régional et mondial », assure-t-il, plaidant pour une poursuite des partenariats commerciaux plus solides et la promotion de la coopération Nord-Sud, Sud-Sud et triangulaire comme un pilier essentiel de nos progrès collectifs. L’EconomisteSenegal